mercredi 14 mars 2018

Une soirée avec Poutine

 et une leçon de diplomatie


Une soirée au club D12, qui m'avait invité pour écouter
Claude Blanchemaison, debout sur la photo présenter
son livre sur Poutine. Un vrai ambassadeur, fin, précis, 
intelligent, et vif jusqu'à la truculence. 

Les ambassadeurs me fascinent. Je pense que c'est depuis ma lecture de Malaparte, je ne saurais dire si c'est La Peau ou Kaputt. Je les vois comme des inclassables qui classent tout, des cyniques humanistes,  acteurs élégants de l'atroce, ils nous livrent souvent des témoignages indispensables. Bien sûr, il y a ambassadeurs et ambassadeurs. Leurs qualités sont variables et l'on a même glosé sur la bêtise supposée des ambassadeurs. Enfin, disons-le, ce n'est pas le même métier que d'être ambassadeur à Monaco ou en Syrie. Il n'empêche : ils représentent pour moi la quintessence de la formule de Clausewitz : La guerre n'est que la continuation de la politique par d'autres moyens, parce qu'ils sont précisément dans la politique et toujours en phase de préparation de la guerre si ce n'est au cœur de la guerre elle-même. 
L'ouvrage de Claude Blanchemaison, dont je
ne doute pas qu'il soit passionnant à l'image
de son auteur.
Je me suis donc rendu avec attente et intérêt à une rencontre organisée par le club D12 qui avait invité Claude Blanchemaison à présenter son ouvrage vivre avec Poutine qui retrace son expérience passée d'ambassadeur à Moscou. 
Ce type d'information est à ne pas louper, tant on a tendance à se laisser envahir par ce monde sous influence, et en particulier sous mauvaise influence tant on sait l'importance qu'accorde précisément la Russie au développement de l'emprise médiatique qu'elle peut avoir sur l'occident. Je vois cette compétence comme la conséquence directe du travail mené par l'Urss, prolongé par la Chine  et copié par les pires dictatures appliquant cyniquement le principe énoncé par l'ultra-gauche Guy Debord : dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux
Pour Claude Blanchemaison, que j'ai eu le plaisir de réentendre sur France inter dimanche matin (écouter le podcast après Ségolène Royal, minute 14), aucune illusion à se faire. Poutine est un mauvais chef d'Etat, compensant ses faiblesses par un cynisme absolu, détruisant pour longtemps l'effort mené autour de la Russie pour redresser l'Etat après son affaiblissement après les années de dictature communiste. 

La Russie vue de l'intérieur

Ainsi en arrive-t-on à une vision anecdotique de la Russie et du personnage à sa tête tout simplement parce que tout est fait pour écarter d'une vision à long terme de la situation mondiale. Claude Blanchemaison, bien qu'intervenant à une semaine de la plus que probable réélection de Poutine, parle peu de la situation interne en Russie. On peut dire, trop rapidement, que Poutine préfigure Trump, en plus puissant, en plus déterminé, en moins fou, et bénéficiant d'une faiblesse des institutions démocratiques dans son pays. 
Claude Blanchemaison rappelle cependant que la Russie de Poutine est loin d'être une dictature absolue. Il choisit certes ses opposants, il triche un peu sur les résultats, mais il y a des vrais partis, dont un parti communiste qui a d'ailleurs choisi un candidat qui n'est pas adhérent au parti communiste. Il parle aussi d'une candidate d'avenir Ksenia Sobtchak qui, bien que promise à un score anecdotique est la seule qui parle franchement de l'annexion de la Crimée et du respect des accords internationaux. 

Economie et diplomatie

En fait, pour Claude Blanchemaison, la politique de Poutine s'est assise essentiellement sur la richesse de son sous-sol, ce qui est toujours dangereux si l'on n'est pas capable de transformer cet atout en investissement économique. Cela est d'autant plus vrai dans une situation de baisse des coûts des matières premières. On comprend mieux à partir de là les attitudes vis à vis de l'Ukraine pour des questions d'approvisionnement en gaz et en pétrole. 
Mais il y a aussi un autre aspect de l'économie Russe, qui est rarement cité : le pays est le deuxième exportateur d'armes au monde.
Cela explique notamment l'implication de Poutine aux côtés de Bachar El Assad en Syrie, et ce quelles qu'en soient les conséquences pour le reste du monde. Ainsi, comme le note cyniquement Claude Blanchemaison, rien ne remplace une guerre pour démontrer l'efficacité de son matériel. De ce point de vue, la guerre en Syrie a sidéré le monde militaire par l'utilisation de nouveaux missiles tirés de très loin avec une précision inégalée. On peut voir d'ailleurs à quel point l'importance de la désinformation politique est essentielle à un marchand de canons et à quel point mener la confusion au maximum au sein des opinions publiques occidentales est indissolublement lié.
On notera aussi que l'apport des matières premières différencie la Russie de la Chine qui va développer au maximum ses investissements à l'extérieur, et en Afrique en particulier. 
A une question d'un participant sur la crainte de voir la Russie basculer de la Chine, Claude Blanchemaison fait remarquer que la Chine n'a jamais eu de politique coloniale et développe de ce fait une politique opposée à la Russie qui n'a de cesse que de retrouver ses anciennes colonies.

De l'importance des accords internationaux

Aux attitudes compréhensives de participants vis à vis de l'attitude expansionniste de Poutine, rêvant d'un retour à la grande Russie des Tsars, Claude Blanchemaison rappelle que tous les états créés à la suite du démantèlement de l'Urss, ont fait l'objet de conventions internationales. C'est ce même type de conventions qui avaient amené notamment l'Onu a intervenir contre l'Irak à la suite de l'invasion du Koweit. Il faut enfin rappeler que ces règles internationales s'appuyaient sur un fait majeur : la renonciation par l'Ukraine de son programme nucléaire. On se rend compte à quel point le discours compatissant sur la pauvre Russie forcément amenée à récupérer ses territoires perdus correspond à un discours cynique véhiculé par le pouvoir dictatorial de Poutine. Il faut aussi mesurer que ces attitudes mettent directement en cause les accords fragiles tenus pour limiter la prolifération nucléaire et qu'il suffit de très peu pour que l'Inde, le Pakistan, Israël, l'Iran ne devienne des puissances nucléaires, autant d'allumettes supplémentaires sur notre monde fragile.
De fait, Poutine, même si ce n'est pas le même personnage a la même attitude que Hitler : prendre ce qui est à prendre en se basant sur le manque de réaction internationale. On sait où cela a mené le monde... même si une réaction d'urgence a empêché que la Géorgie ne redevienne un Etat de la Fédération Russe.  
Enfin, pour remettre les choses en perspective, la Chine est un état d'1,4 milliard d'habitants, soit 10 fois plus que la Russie.
Il y a bien sûr des points communs entre la Chine et la Russie. Le développement économique ne peut avoir lieu sur un réseau de corruption. La Chine y remédie comme elle peut, et nous sommes malheureusement bien placé, avec le boulanger de Pont de l'Arche pour savoir à quel point entreprendre en dictature va parfois bien au delà du risque pour l'entreprise.
Enfin, à une question sur les dangers de la politique de Poutine pour l'Union Européenne, Claude Blanchemaison rappelle que la Russie affirme toujours son besoin d'un Union Européenne forte. En 2002, soit au début de l'ère Poutine, les accords de Minsk prévoyaient un espace économique commun entre l'Europe et la Russie, accord rejeté par la Croatie et la Pologne. En matière politique, la Russie est essentiellement pro-européenne et pro-américaine. 
On doit noter cependant pour modérer ce qu'on peut dire sur le délabrement économique de la Russie que celle-ci a connu une réelle réussite dans le domaine agricole, avantage d'une faible démographie sur un territoire qui permis à la Russie de redevenir le premier exportateur de blé dans le monde. Je ne sais pas ce qu'en penserait Benoît Biteau en ce qui concerne l'usage des pesticides, mais mais la réussite est incontestable sur le plan économique mais ne compense pas le manque d'investissement économique sur le territoire même. 

Une mauvaise conclusion, 

mais intéressante quand même


Le lecteur m'en voudra du désordre du compte-rendu établi à partir de quelques notes d'autant plus prises à la volée, que je n'ai pu me défaire de l'intérêt du débat. Je conclurai en faisant référence à un propos qui n'a rien à voir avec la Russie, mais qui était un point de vue d'ambassadeur sur un sujet qui inquiète le monde entier : la Corée du Nord.
Le sujet inquiète parce qu'on n'y comprend rien. La guerre des fous, entre le plus petit Etat nucléarisé, et la plus grande démocratie du monde on craignait le pire lorsque Kim Jung Un annonçait fièrement qu'il venait de faire un nouvel essai face à un Trump qui annonçait qu'il allait frapper réellement la Corée du Nord enclenchant le feu nucléaire. Les plus perspicaces en étaient à courir aux abris en psalmodiant la célèbre formule d'Audiard.



  Et puis non. Kim Jung Un choisit de rencontrer Trump à la surprise générale. 
Claude Blanchemaison explique que le rapprochement entre la Corée du Nord et les Etats Unis témoignent simplement de la volonté de la Corée du Nord de marquer ses distances vis à vis de la Chine. La Chine en effet, pour des raisons politiques et géographiques, a besoin depuis longtemps de garder son influence sur la Corée du Nord, histoire d'éviter une réunification Coréenne qui serait pour elle un danger politique et économique. Sauf que la Corée du Nord n'est pas un allié tranquille et que la Chine ne veut pas non plus d'une nouvelle puissance nucléaire aux mains d'un dictateur imprévisible. C'est donc contrainte et forcée qu'elle a voté la résolution condamnant les provocations nucléaires de la Corée du Nord. 
C'est rencontre a donc pour premier objet de la contrarier, ainsi que le rapprochement entre les deux Corées. On le comprend, mais on sait aussi que la Corée du Nord a besoin de la Chine pour sa survie. À  suivre ... 










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