jeudi 28 décembre 2017

La photo jaunie de la social démocratie

L''ouvrage a vieilli ... mais bien vieilli. 
Il a gardé tout son sel et l'âge même
lui donne des arômes nouvelles.
Qu'est-ce que la social-démocratie ? Est-ce  même une question.  
A tout avouer, de voir ce petit bouquin traîner sur une table, je ne me sentais pas du tout attiré. Nietszche disait qu'il fallait s'économiser en évitant de répondre à des questions qui ne se posent pas. 
Depuis longtemps je considère la social-démocratie comme condamnée, et qui plus est complètement inadaptée à la problématique française. Qui plus est, l'ouvrage datait de 1979, une période révolue, celle du giscardisme, avant la prise de pouvoir par la gauche en 1981. J'ai lu cependant le livre, sous l'insistance de mon ami Daniel. Un peu par devoir, j'y ai jeté un œil, avant d'y plonger, fatalement. 
Tout d'abord, reconnaissons-le, il y a du plaisir à revenir sur des périodes traversées, ressentir ce que nous vivions à l'époque, ce que nous pensions, ce à quoi nous nous opposions, nos combats, nos amours et tout ça. J'y ai presque retrouvé une joie adolescente, enfantine même. Une chanson me revenait dans la tête entre deux rames de métro,  pour la retrouver, cliquez-là : vous serez surpris.
Passons, revenons à nos moutons et à la social-démocratie.
Surprise dès le début de l'ouvrage : en quelques pages Michel Rocard règle son compte à la social-démocratie. Pour lui, la social-démocratie n'est qu'une parenthèse de l'histoire et dans l'espace et dans le temps. En ceci, il serait presque d'accord avec Lénine qu'il assaisonne cependant un peu plus tard. 
La social-démocratie est le projet politique issu de l'organisation des travailleurs. Elle sera le support théorique de la deuxième internationale, avant que celle-ci ne se décompose à la fin de la première guerre mondiale. Ainsi, Lénine lui-même est-il social démocrate. Il ne s'en détachera véritablement qu'en 1914 lorsque l'outil ne lui sera plus d'aucune utilité. 
Une annexe incroyable le rappelle en annexe. Engels lui-même, figure emblématique du marxisme révolutionnaire, explique que la démocratie va inévitablement profiter au prolétariat et qu'il est inutile de passer par un bain de sang à l'issue incertaine. Tel est le sens de son introduction des luttes de classes en France, ouvrage de son ami Karl Marx, 
Résumons-nous : la social-démocratie est le projet de changer le monde en s'appuyant sur l'organisation des travailleurs. Cette conception n'a guère de sens en France où le syndicalisme est essentiellement politique dès l'origine. Les différentes obédiences marxistes et anarchistes s'y disputent. Il est intéressante de comparer la situation avec l'organisation des ouvriers en Italie par exemple, où, malgré une influence prégnante des anarchistes, peut-être à cause d'elle, ce syndicalisme obtiendra une culture de la négociation et des résultats, et donnera naissance aux ancêtres des premières mutuelles. Cependant, c'est bien en Allemagne et dans les pays du Nord de l'Europe que la social-démocratie connaîtra son développement.
En dehors de ces exemples, la social-démocratie échoue sur deux plans. Le premier, historique et souligné par Lénine : qui montre qu'en s'axant sur des syndicats assez puissants pour négocier avec l'État on en limite en même temps le champ d'action politique. Ainsi, dans les pays où les syndicats sont puissants et réformistes, la social-démocratie a un sens. En France, où la faiblesse de la représentation syndicale les amène à une vaine attitude de posture, la social-démocratie n'a guère de sens. 
C'est là qu'on touche à l'impuissance de la gauche française. Rocard dans ces propos de 1979 fait état de l'utopie autogestionnaire comme étant bien plus cohérente qu'un projet social-démocrate à la française. L'ouvrage d'ailleurs fait l'éloge de la Cfdt en ce que ce syndicat, qui confirmera cette approche par la suite, sera non seulement le premier à revendiquer l'autogestion mais sera aussi le premier à alerter sur les limites du productivisme et du rapport citoyen à l'environnement  prolongation de sa situation de salarié
Cette démarche moderne lui a sans doute permis d'être devenu le premier syndicat français en terme de représentation. Il n'empêche, cette vision déjà défendue par la gauche moderne de Michel Rocard, n'a pas encore eu son prolongement politique. L'autogestion, plus personne n'en parle. On parle de socio-libéralisme, certes, mais personne ne sait trop ce que c'est. Enfin, la culture social-démocrate continue de faire des ravages. Cette gauche de la posture, qui choisit de se couper de la réalité sous prétexte d'un meilleur à venir a amener les plus graves erreurs de la gauche socialiste, allant de la politique coloniale de Guy Mollet au massacre du mandat socialiste de François Hollande par ses "amis" frondeurs. 
Bref, tous ces rappels ne sont pas inutiles à un moment où la gauche est aux abois, piétinée par le macronisme. 
Le besoin exprimé de pragmatisme n'a pas de sens si il ne s'appuie pas sur une base théorique et historique solide. On a fait dire à Sénèque : "il n'est pas de vent favorable à celui qui ne sait où il va".  
Voilà qui devrait rassurer à l'heure où beaucoup d'entre nous trouvent que tous les vents sont contraires. La gauche existe, même si elle se sent perdue. Elle ne pourra se ressaisir sans faire l'effort d'une réflexion profonde, sans s'ouvrir au débat.
Voilà pourquoi Les Radicaux de gauche invitent au débat.
Virginie Rozière au centre de l'image, au centre du débat
Première étape : 
BANQUET RÉPUBLICAIN



Mercredi 24  janvier à 20 heures

8, rue Borville Dupuis 

avec Virginie Rozière

députée européenne



Débat ouvert à tous et en particulier à gauche.

Nous y reviendrons


Post-scriptum 
L'ouvrage est intéressant, je l'ai dit plus haut, parce qu'il révèle aussi des manières de penser d'une époque. Autant pour ses vérités révélées par le temps que pour les erreurs que l'Histoire souligne. 
"Qu'est ce que la social-démocratie ?" est un ouvrage collectif qui date de 1979, donc un peu avant 1981, et 10 ans avant la chute du mur. La gauche vient de subir une déception à la suite des élections législatives de 1978. Rocard veut en profiter pour dégommer Mitterrand, mais c'est déjà trop tard. Les auteurs de l'ouvrage recherchent l'utopie réaliste contre une logique de la posture. Ils dénoncent les régimes sous influence soviétique tout en faisant le recensement des gauches européennes au pouvoir. Arrive l'Allemagne qui a fini par porter la gauche de Willy Brandt au pouvoir. 20 ans plus tôt à Bad Godesberg, la gauche a fait son aggiornamento, mis un terme aux références marxistes, et assumé sa mission réformiste. Le petit livre fait référence au travail d'un dénommé Kurt Schumacher (rien à voir avec le gardien de but de l'équipe Allemande à Séville). 
L'auteur rescapé des camps de concentration, fait l'objet d'une douce condescendance de nos auteurs français qui soulignent les limites de sa réflexion par la phrase définitive suivante ..."d'où, également, son hostilité à l'égard de toutes les puissances d'occupation et l'accent mis sur le thème qui devait se révéler illusoire , celui de la réunification de l'Allemagne". 
Rien que pour cette belle boulette, ce livre riche ne m'a pas fait regretter le détour.

Aucun commentaire: