jeudi 2 février 2017

Qu'est ce que c'est que ce bordel ?

Jusqu'alors, en politique, quand ça allait mal d'un côté, on se réjouissait de l'autre côté . Ce qu'il y a de nouveau aujourd'hui, c'est que le bateau craque de partout. À droite, à gauche, et au milieu ... et toutes les solutions qui ont jusqu'ici imaginées pour résoudre les difficultés, tombent à l'eau.  
Essayons de résumer la situation même si, précisément, ce tourbillon où tout un chacun essaie de surnager, a du mal à laisser émerger la clarté. 
Commençons par la droite, puisque c'est aujourd'hui la partie la plus exposée de la vie politique française et puis, il faut bien essayer de saisir le problème par un bout. 

Le bordel à droite

La famille Fillon en visite, du temps où François tentait de se
soulager de ses lourdes charges de 1er ministre.
Et justement, du côté de la droite, justement, jusqu'à mercredi dernier, jour de parution du Canard Enchaîné, les choses semblaient claires, tellement face à une droite organisée et anticipatrice les déchirements de la gauche faisaient peine à voir. 
Rappelons-nous la victoire surprise mais incontestée de Fillon. C'était déjà fort, mais les commentaires se limitaient à l'élimination de Sarkozy et de Juppé ! Des faits banalement historiques... 
Or voilà que l'homme choisi  par plus de 4 millions d'électeurs, celui qui avait colmaté les plaies infectées et profondes de la succession de Sarkozy, celui qui s'était imposé de manière incontestable face à ses adversaires et ridiculisait les survivances de la gauche, voilà que cet homme est au cœur de la tourmente. On  est obligé de penser à l'affaire Strauss-Kahn. Le même statut de favori, une victoire inéluctable et puis pof ! En quinze jours, tout est liquidé. Il y a bien sûr quelques différences. Dominique Strauss Kahn n'avait pas été adoubé par une primaire, et puis, il y avait du sexe, ce qui ajoute à la sidération... N'empêche, que Fillon ait fait campagne sur la probité et sur l'appel au sacrifice pour le peuple français piégeait le candidat une fois révélé ses pratiques familiales, dont Rachida Dati, l'ancienne garde des Sceaux, avait dénoncé les dérives.
Je ne veux prendre la défense de personne, je n'ai pas étudié le dossier, mais je pense profondément que Fillon est sincère. Cela n'en est sans doute que plus grave. Je repense à une phrase entendue lors d'un débat : jamais un privilégié ne pense qu'il est privilégié. Tout privilège est vécu par son bénéficiaire comme légitime. Ainsi, le fait que Fillon ait fait bénéficier sa femme et ses enfants de tout ce que la Représentation nationale pouvait lui offrir, a-t-il été vécu comme naturel. 
Or, plus le malheureux Fillon justifiait son comportement aux yeux de la justice, et plus il s'enfonçait aux yeux de l'opinion publique et plus il semble incapable de devenir président de la République, non seulement pour ce qu'il a fait, mais en plus parce qu'il est incapable de se défendre. 

Le bordel à gauche

Il pourrait s'agir pour la gauche d'une divine surprise. De fait, alors que la primaire de la gauche n'a mobilisé que moitié moins que la droite, alors que les candidats se révélaient beaucoup plus divisés (droit de retrait demandé par les députés, déni de légitimité au frondeur qui avait nui au bilan du mandat de son propre camp, mise en empêchement du Président de la République, candidat légitime de la gauche...) le candidat Hamon grimpe dans les sondages, et arrive à la 4e place dans les sondages, enfonçant Mélenchon. On me dira que les sondages ne sont que des sondages, que la 4e place n'est pas la deuxième et encore moins la première, il n'empêche : le candidat Hamon est sorti de la marginalité d'avant les primaires. 
Photo de famille des gauches "irréconciliables". On y  retrouve Hamon, 
Valls et Mélenchon , garde rapprochée de  Michel Rocard, élu à la tête du PS 
en 1993 après des années d'effort. Il allait y rester 7 mois et 25 jours avant de 
se faire éjecter par ce qu'il restait des mitterrandiens. On pensait que le passage
 éclair n'avait pas laissé de trace. La photo démontre le contraire !
 Une autre, interactive, diffusée par le Huffington post, que vous retrouverez
en cliquant ici permet de mieux comprendre. A retenir toutefois l'attitude
de jeunes loups pour qui le Rocardisme mène à tout à condition d'en sortir.
Aucun n'a suivi Michel Rocard sur l'Europe et ont tous fait valoir leurs
visions personnelles avant celles de l'Europe. Le début du désastre annoncé.


La gauche est-elle sorti de sa phase de décomposition ? Pas vraiment à mon avis. Je disais à un ami qui parlait des chances de Hamon que si l'ex-frondeur en chef devenait président de la République, il aurait à subir dans son propre camp la revanche de ceux qu'il a empêché de réussir leur bilan, mais aussi les assauts de Mélenchon ainsi que de Montebourg, et des Hamoniens qui l'accuseront de trahir avant qu'il ait eu le temps de lever le petit doigt. Parce qu'au fond Valls n'avait pas tord de parler de gauches irréconciliables... Elles le sont au moins provisoirement, tant qu'elles n'ont pas été au bout de la réflexion, et à mon avis le chemin est long. 

Le bordel au centre

Reste la situation du centre et de l'incontournable Macron... Incontournable pour l'instant ! Le voilà deuxième dans les sondages, doublant Fillon sans coup férir, se retournant à peine sur son passage. Il engrange tout ce qui lui vient de la droite décomposée, et d'une gauche encore malade. 
Deux écueils lui font face dans un chemin encore long à mener. Le premier est la recomposition des blocs. La droite subit un coup terrible, c'est sûr ... mais je parie qu'elle ne va pas être si longue à se remettre. Comme le disait déjà Fabius il y a plus de trente ans, je ne sais pas s'il y a une droite d'en haut, mais il  y a une droite d'en bas. Les camps ont trop d'intérêt à leur propre survie pour ne pas se reconstruire et ont la capacité de faire oublier leur calamiteux début d'année. Le second écueil vient du centre lui-même. Bayrou s'est fait piquer, si ce n'est toutes ses idées, au moins son positionnement. La situation politique lui offre une chance inespérée. Qui plus est, à la différence de Macron, il a un parti. Petit, certes, mais un parti qui représente quelque chose dans l'opinion française et il a l'expérience des joutes présidentielles. Macron a magnifiquement réussi le plus facile, mais le plus dur reste à faire.
Reste le reste. 
Quel rôle va jouer l'extrême droite, qui, pour l'instant, attend gentiment que les modèles politiques se décomposent. Marine Le Pen sait déjà qu'elle sera moins atteinte par ses condamnations par l'assemblée européenne que Fillon par ses affaires. La gauche et la droite ont démontré par l'absurde l'inanité des primaires, ce qui semblait pourtant une excellente idée. La victoire de Trump lui a démontré que tout lui était possible. Pour l'instant, certes, elle est battu par n'importe qui au deuxième tour ... mais pour l'instant seulement, les choses vont tellement vite que rien n'est à exclure ! 
L'extrême droite pour l'instant est la seule à ne pas avoir de débat interne.
Rien ne vaut, ou plutôt, rien ne semble valoir. De tout ce qui est emporté dans le tourbillon, dont nul ne sait quand il s'achèvera, qu'est ce qui reviendra à la surface ? Il y aura bien, normalement, un président de la République d'ici quelques mois. Il aura, probablement une majorité. Il n'empêche, le mal est profond, le besoin de recomposition au sein des forces politiques est réel, et va bien au delà du besoin de moralisation. La politique, c'est la définition d'un idéal collectif. 

Antonio Gramsci
La cause profonde du tourbillon est là-dedans. La terrible formulation de Gramsci est dans toutes les têtes : "il vecchio mondo sta morendo. Quello nuovo tarda a comparire. E' in questo chiaroscuro, nascono i mostri." (Le vieux monde se meurt.  Le nouveau tarde à apparaître. Et dans ce clair obscur naissent les monstres) et en matière de monstres, Antonio Gramsci, qui vécut la naissance du fascisme et le déferlement d'horreur qu'il a provoqué sur l'Europe, savait de quoi il parlait. Ces propos ont été écrits en prison.







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