dimanche 5 février 2017

Economie sociale et solidaire, il faut passer à la vitesse supérieure

Thierry Jeantet Président du Forum International 
des Dirigeants de l’Économie 
Sociale et Solidaire.
 Il y voit une alternative aux dérives du capitalisme.
Thierry JEANTET, défenseur acharné de l'économie sociale et solidaire, publie une tribune dans Libération. Le sujet est curieusement absent de la campagne présidentielle pour l'instant. 
Le café radical publie la tribune pour enrichir le débat, tout en rappelant que Benoît HAMON, avant de cisailler le gouvernement auquel il appartenait fut ministre de l'économie sociale et solidaire. Peut-être cela permettra-t-il de relancer le débat.

Les débats pré-élection présidentielle restent, pour la plupart, confinés dans un espace néolibéral (capitalisme social et autres), voire libéral-laissez-faire (chasse à l’Etat…). Cette obstination est pour le moins étonnante lorsqu’on sait à quel point la crise financière de 2008 a marqué l’échec de ces politiques et qu’on en saisit, aujourd’hui encore, toutes les conséquences sociales et économiques tant en Europe qu’ailleurs. L’étonnement devient stupéfaction lorsqu’on constate que malgré de justes références aux transformations en cours (à l’instar de l’économie numérique) ou souhaitables (transition écologique), elles sont, en réalité, énoncées de façons incantatoires. Bien qu’évoquées, ces références ne sont guère l’occasion de fixer un nouveau «cap social» malgré des débats fort importants autour de questions telles que celles que sont l’instauration d’un revenu minimum décent, d’un revenu universel ou encore du rôle des mutuelles complémentaires.
Pourtant, anticiper ce qui pourrait être demain un modèle «pluriel» de croissance apparaît comme une nécessité incontournable face aux mutations (pour ne pas dire aux chocs) qui se forment de plus en plus intensément et face à ces attentes citoyennes toujours plus fortes. Plus que jamais, il nous faut unir les recherches liées aux progrès civiques, sociaux, écologiques et bien sûr économique. L’économie sociale et solidaire (ESS) est un élément moteur de cette nouvelle croissance attendue, de ce modèle «pluriel». Ses principes correspondent exactement à cet objectif. Economie progressiste, l’ESS fait en effet appel à une gouvernance démocratique des entreprises, à une juste répartition des excédents, à une propriété à la fois privée et collective et tout autant à la solidarité qu’au respect des environnements. Dans un monde qui compte près 7,5 milliards de personnes, faut-il rappeler que plus d’un milliard est concerné par l’économie sociale et solidaire.

Une économie créatrice d’emplois

Le président de la République, avec les gouvernements successifs, a respecté les engagements pris vis-à-vis de l’ESS pendant la campagne présidentielle de 2012, avec par exemple la création d’un ministère (puis secrétariat d’Etat) dédié à l’ESS, une loi sur l’ESS, 500 millions d’euros destinés à l’ESS dans la Banque publique d’investissement, la création de «la France s’engage» ou encore l’introduction de l’ESS dans le dialogue social. A quoi il faut ajouter le Groupe Pilote International de l’ESS présidé par la France. Mais le temps est venu de passer à la vitesse supérieure en France : il faut désormais que l’ESS puisse pleinement jouer son rôle, c’est-à-dire ouvrir la voie à ce que devrait être une croissance équitable et efficace ! Certes, les candidates et candidats à la présidentielle commencent à en parler, mais trop peu.
Voilà plus de trente ans que l’ESS est créatrice d’emplois. Toutes les études internationales le montrent : le monde de l’ESS a mieux traversé les crises économiques et financières que celui des entreprises dites traditionnelles, ou encore de celui de la banque et de l’assurance. L’ESS porte en elle des solutions concrètes en réponse aux défis que nous connaissons. Et il ne manque pas d’exemples pour confirmer cette assertion.
Nous savons aujourd’hui que «l’accès universel à un niveau de vie décent» peut être assumé par des partenariats Etat/villes ou territoires/ESS. Si ces partenariats existent en quantité dans des secteurs clefs comme l’enseignement, l’intégration sociale (associations sociales), la santé (CUM/Mutuelles santé), l’habitat (coopératives d’habitants), il faut encore renforcer leurs moyens, favoriser la démultiplication de toutes sortes d’initiatives et de parvenir, enfin, à un véritable Pacte entre l’ensemble des acteurs concernés.

Ancrage local

Trop d’initiatives se trouvent, en effet, prisonnières de leur isolement et finissent par échouer. Il faut encourager l’émergence d’une formule à la fois solide et souple, capable de combiner initiative personnelle et solidarité professionnelle, à l’instar de ce que font déjà la Coopérative d’activités et d’emploi ou encore Coopaname à Paris, ou le Groupe Archer à Romans. Une autre voie étant celle des coopératives d’entrepreneurs indépendants (artisans, commerce, agriculteurs), déjà très développée en France. Il est éclairant de constater que les dérives du système Uber conduisent des chauffeurs à (re)découvrir les coopératives !
Il existe un ancrage local en France grâce à une dynamique innovation technologique et gestion participative. C’est ce que réussissent nombre de coopératives, comme le montre l’exemple en Normandie d’Acome Scop (Sociétés coopératives et participatives). Voilà des années qu’elle affiche de bonnes performances dans le secteur de la fibre optique. Idem de la SNA, coopérative qui fabrique les éléments constitutifs de la «route solaire». Voilà d’ailleurs un bel exemple d’une coopérative qui apporte chaque jour la preuve de sa compatibilité avec un développement à l’international.
Enfin, le développement territorial bénéficie lui aussi de cette forte dynamique de l’ESS. Un peu partout à travers l’Hexagone on peut voir ces fameux Pôles territoriaux de coopération économique qui regroupent des entreprises de l’ESS, des PME (petites et moyennes entreprises), des TPE (très petites entreprises) et des collectivités locales qui ont mutualisé des services tout en élaborant des projets communs. C’est ce que font Coopaxis, Clu’ster Jura, Ardaine ou encore Sicoval.
Plutôt que de vouloir la noyer dans des concepts flous ou la traiter à part, l’économie sociale et solidaire doit devenir un partenaire central d’une politique économique, solidaire et écologique qui est (et sera encore plus demain) innovante. Aux responsables politiques de prendre cette question de l’économie sociale à bras-le-corps. Et de le faire avec force.
Thierry Jeantet est l’auteur de l’Economie Sociale, la solidarité au défi de l’efficacité (Documentation Française, 2016)

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