jeudi 8 janvier 2015

Ce que la France doit à Charlie

Charlie Hebdo est né de la censure et de mai 68.
Dernier numéro d'Hara-kiri hebdo. Le pouvoir
gaulliste avait alors interdit le titre à la suite
de la mort du général De Gaulle. C'était en
quelque sorte la première tentative d'en finir
avec l'émanation de l'esprit de mai. Un échec
complet. Quelques jours plus tard, Charlie-Hebdo
prenait la place d'Hara-kiri hebdo.
Les millions de personnes descendues dans la rue, ceux qui avaient bloqué la production pendant près d'un mois ne savaient pas de quoi ils étaient porteurs, mais ils étaient la preuve que la société française vivait une crise profonde, 20 ans après la deuxième guerre mondiale et 6 ans après la fin de la guerre d'Algérie. Le pouvoir gaulliste était à l'image d'une génération qui avait tant bien que mal préservé un semblant de cohérence, mais qui était incapable de répercuter un besoin impératif d'évolution. Bref, la société française explosait et ce n'est pas un hasard si le succès de Charlie Hebdo est né de cette opposition frontale au pouvoir central. Au lendemain de la mort du général de Gaulle en novembre 1970, face à un monde politique déboussolé, l'hebdo Hara-Kiri, créé juste après mai 68, et dévoré à chacune de ses parutions par des milliers de lecteurs, titre "Bal tragique à Colombey : un mort". C'est on ne peut plus irrévérencieux. De l'humour noir qui fait allusion à un fait divers qui a eu lieu quelques jours plus tôt et qui a fait la une de l'actualité.
De l'humour noir quand tout pousse à un hommage national en référence à l'homme qui a fait la France de l'après guerre même si la France l'a rejeté par référendum.
Et patatras ! Voilà qu'on se moque bruyamment de celui qui représentait l'institution même qui avait été remise en question par toute une génération un an et demi avant. Il y avait de quoi rendre le pouvoir fou. Celui-ci a répondu avec les moyens les plus lourds de l'époque : interdiction du titre.
Or, quel était ce titre ? Hara-kiri hebdo était en fait le prolongement d'une revue mensuelle : Hara-kiri, journal bête et méchant. Le journal qui existait depuis 9 ans s'inscrivait dans cette tradition française d'humour noir, paradoxal et irrévérencieux, se basant sur le rejet de toutes les conventions. Or ses rédacteurs, absorbés par le mouvement de mai 68, ressentant le besoin d'agir politiquement ont alors créé L'hebdo hara-kiri .
Charlie-Hebdo était aussi l'émanation du premier
mensuel consacré à la bande dessinée que la
France ait porté. Ici, une couverture dédiée à la
Valentina de Guido Crepax (dont Wolinski disait
ce sont les plus belles fesses de la bande dessinées ...
et je m'y connais en bande dessinées). Les Cavanna,
Pr Choron et autres créateurs d'Hara-kiri étaient des
   génies joyeux, avides de nouveautés et de cultures,
rejetant l'ordre établi qu'il soit politique ou culturel.
 
On comprend que dans ce cadre, l'interdiction du titre n'ait pas suffi pour abattre les rédacteurs de l'hebdomadaire. Ils ont alors tout naturellement créé Charlie Hebdo, prolongation naturelle du premier mensuel dédié à la bande dessinée et qui, justement s'appelait Charlie, en hommage à Charlie Brown, qui n'était alors qu'une vignette divertissante ornant quelques revues ... mais on ignorait l'importance qu'allait prendre la bande dessinée dans la vie culturelle française.
Parce que Charlie était novateur. Politiquement et culturellement.
Au delà du combat pour tout ce qui touche aux libertés et aux libertés des mœurs en
Premier journal écologiste né en 1971, La gueule
ouverte c'était de par son titre ne pas avoir peur
des gros mots quand la situation l'exige et la vision
d'un engagement écologiste autonome.
particulier, Charlie a mis en avant l'écologie et la remise en cause de l'ordre social. c'est l'équipe de Charlie qui a créé "la gueule ouverte", premier périodique écologiste, incluant schémas et démonstrations scientifiques sur toutes les questions liées à la production et au recyclage des productions humaines.

Charlie Hebdo a été le journal du candidat
Coluche ... un acte politique qui a fait trembler
les institutions. Cette couverture est d'autant plus
intéressante que, lors de cette élection, ni
Coluche, ni Rocard n'ont été candidat.
C'est dans ce cadre, et celui du refus des conventions qu'il faut resituer la candidature de Coluche aux élections présidentielles.
Qu'importe après tout le reste, c'est à dire les débats internes d'une rédaction partagée entre la confrontation entre réalité mouvante et le maintien désespéré à des postures ou à des prises de positions intemporelles.
Charlie Hebdo a accompagné les évolutions d'une société française qu'elle a contribué à bousculer. Elle a été un point de repère unique en France et dans le monde. Normal d'ailleurs, parce le moteur de Charlie, et de l'équipe qui l'a créée a toujours été l'humour et la joie, éléments par essence intraduisibles.
Un excellent Wolinski, retraçant on ne peut mieux
les interrogations qui ont traversé les générations
en 50 ans d'existence.
L'humour de Charlie, on le retrouve dans Coluche, bien entendu, dans les Bronzés, dans les Guignols de Canal +, et on peut même classer Dieudonné et Siné dans ses avatars... mais ce ne sont pas les seuls.
De ce point de vue, sans doute l'affichage généralisé du "je suis Charlie" est-il le plus bel exemple de ce que la société française est  complétement imprégnée de l'esprit que Cavanna, Gébé, le Pr Choron nous ont laissé et avec eux bien entendu Wolinski et Cabu dont des abrutis sanguinaires ont pensé (mot sans conteste inadapté pour ces brutes écervelées !) se débarrasser hier.

Sans doute, ces barbares avaient-ils toutes les raisons de penser que la cible était juste. Ils n'ont choisi ni Zemmour, ni le Front National qui se répandent régulièrement sur les musulmans et l'islam. Ils n'ont pas choisi Houellebecq. Ils n'ont pas choisi ce qui représente le pire de la France, ce monde de repli sur soi, de peur de l'étranger et de sous-entendus complotistes. Non, ils ont choisi ce qui fait la grandeur de la France, sa culture ouverte et généreuse, son humour décapant, son rejet de l'ordre imposé ... parce que ça, les intégristes au service d'états terroristes ne le supportent pas.
Alors voilà, cette liberté que nous croyons acquise, ces valeurs républicaines de liberté, d'égalité et de fraternité il va falloir les défendre en rejetant la peur et le refus de l'autre.
Nous ne laisserons pas s'instaurer ni le discours intégriste, ni le rejet des musulmans, ni le laxisme vis à vis des assassins, ni les principes du droit et en particulier les discours sur la restauration de la peine de mort. Ce serait un trop beau cadeau aux intégristes que de prôner la peine de mort (comme si la peine de mort aurait pu empêcher cet acte barbare et militaire) et un retour en arrière sur les valeurs et la liberté. 


Je suis Charlie, comme tout le monde
Notre devoir aujourd'hui, c'est d'être Charlie, plus que jamais. Si nous pleurons aujourd'hui, c'est parce que nous aimons rire.

Demain, Charlie Hebdo reparaîtra. Je m'abonne.
En attendant, pour patienter quelques images de ce que fut, de ce que reste Charlie, à jamais... sans commentaire.


























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