dimanche 27 avril 2014

12 years a slave

Nos ennemis dessinent notre visage. Avant son enlèvement,
Solomon Northup n'imagine pas pouvoir un jour être esclave,
tout juste s'il se vit comme noir... un peu à l'image de ce que
racontent ces rescapés des camps, qui avant l'antisémitisme
d'état ne se vivaient pas comme juifs.
C'est un film terrible.
On me pardonnera d'en parler de manière décalée, quelques mois après sa sortie.
Il se trouve que je ne me suis donné l'occasion de le voir que la semaine dernière. Après tout, pour un film fort, quelle importance. Il est appelé à rester une référence pendant longtemps.
Le film raconte une histoire terrible et vraie.  Un jeune père de famille, musicien, habitant New York, se voit proposer un projet de tournée par deux imprésarios. Au cours d'un passage à Washington,  les deux agents boivent avec lui, le soûlent,  et se révèlent être d'infectes escrocs, ce que notre héros ne comprend vraiment qu'en se réveillant enchaîné au fond d'une geôle et sa vie bascule ... pour douze ans. Le voilà transformé en esclave. Et là au delà du cauchemar, nous avons la peinture insupportable de ce qu'a été la vie quotidienne de millions de gens dans les états du sud des Etats Unis d'Amérique au XIXe siècle.
Avant ce film, je me suis souvent demandé comment ça se passait de devenir esclave, par quelle magie on pouvait passer du statut d'homme libre à celui d'esclave. Le film y répond en quelques secondes. Après une nuit de conditionnement physique, enchaîné, quelques coups douloureux à chaque velléité d'autonomie, on en arrive à accepter une identité nouvelle et tout dérape par le choix qu'on fait de vouloir survivre, choix d'autant plus évident qu'on ne comprend pas ce qui vous arrive. 
La réalité arrive rapidement, entre son achat par un grand propriétaire, qui n'accepte qu'à contre-cœur de posséder des esclaves, ce qui ne l'empêche nullement d'être un rouage d'un système forcément inhumain. Entre les enfants qu'on sépare de leur mère par calcul financier, ce calcul financier qui se trouve être la protection de chaque acteur dans l'abomination esclavagiste. 
Ce n'est pas tout. En fait, le premier travail consiste pour l'esclavagiste de couper "son bien" de son humanité et de son identité. Ainsi, l'esclave ne possédera rien, pour mieux être possédé, et ne devra faire preuve d'aucune compassion. Cela donne les scènes terribles où l'on passe à côté de supplices, pendaisons (punition réservée aux tentatives d'évasion ou aux rebellions), peines de fouet (punition réservée à ceux qui ne ramassent pas assez de coton), en devant ignorer la scène.
Les deux heures du film sont une suite d'horreurs, mais aucune d'entre elles n'est gratuite. Elles ont toutes un sens qui nous permet de comprendre l'abomination historique et l'horrible contrainte psychologique, sociale et physique qui nous permet finalement de comprendre que nul ne peut se sentir totalement étranger à ce phénomène. Sans doute les scènes que l'on retiendra sont celles où l'on voit le héros du film contraint de fouetter la femme qui est amoureuse de lui, conséquence d'un caprice de la propriétaire, de même que celle où pendant de longues minutes notre héros résiste à une pendaison en se tenant debout dans une terre boueuse avant que son sauveur de propriétaire ne vienne le tirer de là... et pendant ce temps là, autour du supplice, chacun s'indiffère. Parce que le plus fort est bien  cette terrible ambiance, cette lâcheté comme mode de survie, ces personnes torturées, pendues devant soi, et sur lesquelles toute compassion, toute question est impossible sous peine de mort... Alors on passe devant le paysage abominable, en digérant l'indigérable.
Mais rien n'échappe au désespoir, si ce n'est la certitude que cela se terminera bien. Puisqu'on sait qu'il s'agit d'un récit, c'est que le héros s'en est tiré ! Et puis on sait aussi que l'esclavage sera aboli aux Etats unis, mais il aura fallu plus de trois siècles, le héros lui est mort après1957, soit 4 ans après sa libération et douze ans avant l'abolition officielle de l'esclavage ...
Ce n'est que par l'intervention judiciaire qu'il parvient à être libéré, l'esclave ayant pu faire parvenir un message à sa famille et à ses proches par l'intermédiaire d'un travailleur libre. Rappelons qu'il s'agit d'un rapt. Le juge vient donc soustraire le propriétaire de son bien sous ses hurlements... et sous les regards de ses frères en esclavages pour lesquels la loi ne peut encore rien.
Christiane Taubira, descendante d'esclave, à l'origine de la
loi qui reconnait l'esclavage comme crime contre l'humanité.
Et voilà ! Après 12 ans, Solomon Northup retrouve son identité et sa famille. Sa petite fille est devenue mère de famille, il revoit sa femme, son gendre, ses enfants. Et que leur dit il après ces douze années d'enfer ? 
"Pardonnez-moi ..."
Dans cette demande sans doute réside toute la culpabilité, celle-là même sans doute qui lui a permis d'endurer et de supporter l'insupportable. Toute cette faute intégrée qui lui a permis d'écrire le livre à l'origine du film, qui l'a déterminé à se battre pour l'abolition de l'esclavage, mais qui ne l'a pas pour autant transformé en héros. 
Solomon Northup est mort incognito, on ne sait où et on ne sait pas exactement quand ... Il aura eu le temps d'écrire un livre, oublié repris 150 ans plus tard par le réalisateur britannique Steve Mac Queen (rien à voir avec l'homonyme célèbre).
Solomon Northup aura juste été indispensable à l'humanité.




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