mercredi 5 février 2014

Tout sur Ernest Martin

Encore une danse, Ernest !
Pas question, bien sûr, de tout dire sur Ernest Martin. Chacun d'entre nous garde en lui sa part de l'immense personnage et, bien qu'il fût le plus ouvert des hommes que j'aie rencontré, Ernest a heureusement emporté avec lui sa part de mystères.
J'ai cependant tenu à reproduire intégralement les hommages qui lui ont été rendu, lors de la cérémonie du 3 février 2014.
Un député, un médecin, deux militants de la première heure, et trois de ses enfants s'y sont exprimés, délivrant tour à tour une part du personnage, une couleur de son arc en ciel.
Je n'ai pas su trouver sur internet la version a cappella du Temps des Cerises par Yves Montand, qui fut diffusée avant les discours. Je vous en livre une version musicalisée. Les chants ont su colorer la cérémonie.

 




Hommage de François LONCLE à Ernest MARTIN

3 Février 2014

 

Mme la Sous-Préfète, cher Franck, chers amis,

 

Tout est presque dit dans cette séquence si émouvante qui vient de se dérouler : la magnifique interprétation a cappella du Temps des cerises par l’ami Yves MONTAND. Le célèbre chanteur – acteur était d’ailleurs notre voisin et Ernest m’avait demandé d’aller le voir pour sauver les cinémas de Louviers, ce que MONTAND avait fait.

 Chers amis, les enfants et les petits-enfants d’Ernest MARTIN savaient qu’ils avaient un père et un grand-père exceptionnel. Nous savons quant à nous que le Docteur MARTIN et l’élu de Louviers, maire puis adjoint d’Henri FROMENTIN, a marqué à jamais les esprits de son empreinte. La générosité, l’innovation, l’attention aux autres et singulièrement aux plus faibles ont constamment guidé ses pas.
 

Permettez-moi de relater deux moments dont Ernest MARTIN a été l’acteur et dont j’ai été témoin, deux rencontres privilégiées, à trente-cinq ans de distance.

 

En 1978, dans la propriété des Monts, la maison de Pierre MENDÈS FRANCE, il y a eu ce rendez-vous à quelques-uns,  Henri FROMENTIN, Ernest bien sûr, le président MENDÈS FRANCE et moi-même. Quelques amis nous entouraient. Il y a eu chez lui et dans le jardin, plus d’une heure de conversation. Rien n’était plus dissemblable, vous l’imaginez, que la personnalité de Pierre MENDÈS FRANCE et celle d’Ernest. Et pourtant, il y eût entre eux, je dirai, presque une communion, une approche commune, en tous les cas, extraordinaire. Une compréhension, un sens du bien commun et de la rigueur qui les rapprochaient. Une conversation magnifique et évidemment, elle a marqué ceux qui en ont été témoins.

 

35 ans plus tard, en Janvier 2013, au Musée de Louviers, pour l’exposition d’hommage à Pierre MENDÈS France, Ernest MARTIN pourtant très affaibli, a livré en quelque sorte au Président de la République François HOLLANDE son dernier message, profondément humaniste, en évoquant l’action et la méthode du Président MENDÈS FRANCE. Le dialogue fût encore une fois splendide et émouvant. Franck s’en souvient à coup sûr.

 

Chers amis, face aux vents mauvais, aux forces sombres qui menacent la société française, les saines intuitions, les coups de gueule, la capacité d’Ernest MARTIN à mener le combat républicain et citoyen nous manquent déjà.

 

Mais c’est Ernest MARTIN qui nous manque tout simplement. Le salut que j’adresse à Ernest MARTIN n’est pas un salut de familiarité, c’est le salut du respect.

 

Salut Ernest



Marie-Hélène Gâteau, adjointe au maire de Louviers, médecin.

Ernest Martin, le Docteur Ernest Martin, oui c'est du médecin que je veux parler.
Cet homme qui a su tout au long de sa carrière médicale si bien incarner le serment d'Hippocrate, trop souvent bafoué aujourd'hui.
Sa générosité d'âme et de cœur lui ont permis de mener des combats trop souvent étiquetés comme perdus d'avance
  • combat contre l'alcool
  • combat contre la drogue
  • combat pour une naissance sans violence
  • combat pour le choix des femmes à désirer ou non leur grossesse et tant d'autres combats si bien menés.

Ce médecin complètement désintéressé par le matériel mais tout à la souffrance de ses patients s'est efforcé de transmettre ces valeurs qui lui étaient chères, aux étudiants en médecine qu'il a accueilli dans son service à l'hôpital ou comme remplaçants dans son cabinet.
Ces étudiants dont j'ai fait partie
Pour tout cela, je vous dis "merci Ernest".



Denis Laheye

                                                            
Salut Ness !


Depuis Samedi matin nous sommes  sous le choc !

Notre ville que nous aimons tous  a perdu un homme qui aimait passionnément sa ville

Mais Ernest Martin aimait plus que tout servir et défendre les hommes, les femmes et les enfants.

Tout au long de sa vie Ernest Martin a agi avec une priorité :

Tout faire pour que chaque individu puisse dès son enfance  et pendant toute sa vie exercer son libre arbitre.

Ses engagements, politiques, professionnels associatifs étaient des outils au service de cet objectif.

C’est en cela qu’il était un homme immense.

Immense par son intelligence, 

Ses capacités d’analyse et de diagnostic lui donnaient  une longueur d’avance dans   les multiples actions qu’il menait. 

Immense car c’était un grand visionnaire.


Avant tout les autres il avait créé à Louviers :

Un atelier d’urbanisme pour penser la ville et prévoir son avenir

Un service de transport en commun

Un service culturel

Un service d ‘éducation permanente 

Un service famille car il avait compris l’importance de la famille dans la construction de notre personnalité

Un service de planification familiale pionnier dans la défense des droits des femmes.


Immense par son charisme et sa capacité à entrainer avec lui des hommes et des femmes venus d’horizons très différents mais tous unis pour transformer notre société et notre ville. Le comité d’action de gauche incarnait cette union.

A cette occasion je voudrai ici saluer la mémoire d’Henri Fromentin (un homme extraordinaire) ami, complice des moments difficiles qui vint lui proposer son aide en 1969 pour reconquérir la mairie. Ce qu’ils firent en 1976.


 Immense pour la naissance non violente qu’ont vécu des centaines d’enfants et de parents grâce à  Ernest Martin  qui avait compris l’importance des premiers instants de la vie d’un enfant pour la qualité de sa relation à sa famille et au monde qui l’entoure.


Immense car si Ernest Martin était dur avec les puissants, il défendait les droits des plus faibles et surtout leur dignité.


Immense car Ernest Martin fuyait les honneurs, méprisait l’argent, d’ailleurs son total désintérêt forçait l’admiration de ses adversaires.

Nous gardons en mémoire les nombreuses joutes verbales  qu’Ernest Martin a menées dans ses combats pour défendre une certaine idée de la politique, une certaine idée de la vie dans notre ville.

Si nous sommes tristes depuis samedi, nous n’avons pas perdu espoir car d’autres « Ernest Martin » se sont levés et se lèveront pour agir dans leur quête d’une société plus juste.

Maintenant j’ai une pensée Pour Nicole Sa femme qui a rendu tout cela possible.

Depuis samedi chacun de nous a retrouvé dans sa mémoire un moment, une rencontre avec Ernest Martin qui nous a marqué et peut être changé notre vie.

Si chacun de nous essayait de défendre ou de reprendre un combat (ils furent nombreux)  qu’il a mené, ce serait une belle manière d’honorer sa mémoire.

Enfin à titre personnel j’adresse à  Ernest Martin un dernier «  Salut Ness « tu nous a tant donné !


François Bureau, militant du cag, ex-adjoint de la municipalité Fromentin-Martin


 
 

Mon cher Ernest, c’est en forme de dédicace que j’ai écrit ces quelques mots. Une immense reconnaissance tant je m’aperçois  aujourd’hui encore combien tu as influencé le cours de ma vie, ma relation au monde et aux autres et ma carrière professionnelle, dans la culture surtout. Et, je crois qu’en portant ce témoignage, beaucoup reconnaitront cette incontournable influence.

Entre nous, ça commence en 63. Je parcourais alors les salles de Louviers avec mes appareils à projeter les films. Et Nicole, ta femme, venait me chercher pour me conduire au « Chalet ». Le fameux « Chalet » qui allait devenir le lieu du Comité d’Action de Gauche plus tard. Et là, tu avais créé la magnifique communauté des buveurs guéris « La Croix d’Or ». Je venais régulièrement projeter des films dans ce lieu magique où tu animais des discussions. J’y ai senti un bien-être, une joie de vivre, un lien très fort entre eux. Et j’ai vu les 1ères étincelles dans les yeux des hommes. C’est ainsi que je t’ai connu Ernest. Je me suis dit alors qu’il ne fallait pas que je m’éloigne de cet homme-là.

            Très vite, tu es devenu maire de Louviers. Là encore, j’ai été amené à accompagner ton action culturelle. J’assurais les projections Salle de la Rotonde au Musée. J’ai alors assisté à une véritable révolution culturelle. Tu accordais une très grande importance au Musée de la ville et à sa bibliothèque. Tout le monde se souvient des magnifiques expositions occupant le lieu : L’Exposition Mondiale de la Photographie, Les Estampes Japonaises, l’Exposition sur le Verre où, chaque soir, un souffleur de verre enchantait le public. Joyeux, les enfants repartaient avec leur petit objet en verre. Sans oublier le magnifique concert des structures sonores de verre Lasry et Baschet au cinéma l’Eden. Et puis, il y a eu cette idée absolument géniale de créer une exposition qui mettait en vis-à-vis des peintres professionnels et des peintures d’enfants. Ca en disait long sur ta démarche Ernest. Le sillon était tracé. Il suffisait de se rendre au Manoir de Bigards pour voir le merveilleux monde de la création que tu avais mis en place et l’enchantement des enfants. A nouveau, j’ai vu des étincelles plein leurs yeux. « Susciter les envies à chaque instant de la vie, se réaliser, tenter des expériences, provoquer la curiosité pour tout et partout », selon tes propres mots.

            Ce qui a été affiché sur les murs de la ville dès 69 est une profession de foi permanente : EDUCATION PERMANENTE, CULTURE POUR TOUS, EXPRESSION LIBRE… et ce mot si fort donné au journal du Comité d’Action de Gauche : DEVENIR… A tes côtés Ernest, il y avait cette irréductible exigence, cette conviction profonde : comprendre le Monde c’est aussi comprendre des choses de soi. DEVENIR implique un travail permanent sur soi. Tu nous dictais alors les bases d’une éthique personnelle pour devenir et rester libre.  Tu répétais sans cesse « Il n’y a pas de vie, d’action politique et d’engagement sans une transformation de soi, il nous faut tout faire pour faire sauter chaque jour un petit verrou ». En aucun cas, nous devions prendre un quelconque pouvoir si nous n’étions pas conscients de cela. Pour toi Ernest, la CONSCIENCE DE SOI était une chose capitale. Tu nous creusais là un sacré sillon…

            Et si j’osais confondre ton engagement politique et ton statut de médecin, je dirais que tu étais très attentif à LA PERTE DE CONNAISSANCE, qu’il faut en permanence se créer des ANTICORPS pour affronter le monde. Et surtout, il y a un endroit du corps qui pour toi est le plus exposé à la pathologie : LE NOMBRIL. Ne pas être tenté de le regarder pour garder la faculté de regard devant soi, vers le MONDE et les HOMMES… Je vois encore les multiples sourires quand tu tenais ce discours.

            Homme de culture tu étais et tu l’es resté toute ta vie. Sans aucun doute, avec LA FAMILLE et L’URBANISME, la CULTURE était pour toi d’une importance capitale. Domaine du questionnement, de l’enrichissement et du rayonnement de soi, d’une prise de risque aussi. Toujours pour le DEVENIR d’un Être libre. Des mots que nous avons entendus et qui résonnent encore très fort en nous. C’est une question de SURvie comme tu nous disais.

Homme de culture tu étais ; avec une vie intellectuelle hors du commun et une pensée sans cesse en mouvement. Tu n’affichais jamais ton domaine de connaissance en public. Mais alors, lorsque nous allions à ton cabinet pour nos petits tracas et que tu nous retrouvions dans l’intimité, Il nous suffisait d’exprimer quelques points de vue, quelques pensées personnelles et tu nous citais des œuvres majeures, dans tous les domaines artistiques. C’était un vrai plaisir et nous sortions guéris mais surtout moins bêtes, ce qui participait à la guérison de soi.

            Il y a eu les Heures Chaudes de St Germain des Prés, les Heures Chaudes de Montparnasse et, lorsqu’on se penche sur cette magnifique et folle époque que tu as su si bien amener, on se dit qu’il y a eu les Heures Chaudes de Louviers. ERNEST, ton nom était JOIE. Je reprends là le titre d’une œuvre d’Armand GATTI, un homme que tu as connu et soutenu. Il a toujours pour toi une profonde admiration pour ce que tu as initié. On se souvient d’un merveilleux article sur Louviers et ton action  dans un Nouvel Obs de mai 69, il était écrit par Hélène Chatelain, la compagne de Gatti.

Ce que tu as ouvert en grand pour nous tous est sans mesures. N’oublions jamais qu’à coté de ton activité de médecin, de ton engagement politique, de tes multiples passions et de ta disponibilité sans limites pour l’autre tu as aussi, aux cotés de Nicole, ouvert toutes tes maisons.

Et, s’il y a eu une Maison Bleue à San Francisco, il y a eu des maisons de toutes les couleurs Rue du Mal Foch, à Vironvay, à Pinterville, au Chalet. Il y a eu aussi, j’en suis sûr, de la couleur dans toutes les maisons où sont nés les « Enfants d’Ernest ». Ils sont nés sans violence dans tes mains Ernest. Ils sont nombreux à grandir aujourd’hui avec eux aussi plein d’étincelles dans leurs yeux.


Tu sais Ernest, je vais te faire une confidence, tu peux partir en paix. Vendredi dernier je suis allé au Moulin assister à la Fête des Vœux. Et combien j’ai été touché de voir la population heureuse d’être là avec, eux aussi, des étincelles dans leurs yeux. Il se passe donc toujours quelque chose de magique dans ta ville…


Va mon Cher Ernest, poursuis ton chemin, sans doute vers le Pays de l’ultime Utopie.

Je sais, il y a encore des combats à mener, difficile aussi de retenir sa colère face aux injustices de ce monde, mais juste un moment je ne garderai pas mon poing fermé, juste un moment ma main restera ouverte, juste pour tenir la tienne et te retenir, juste un moment pour me faire pardonner d’avoir parlé à l’imparfait face à toi, d’avoir empreint ce texte de tant de nostalgie. Mais comment ne pas être nostalgique après avoir vécu de si forts moments à tes cotés. Et te retenir encore un peu tant il est vrai que tu as connu de grands moments de solitude. Et c’est le prix de cette nostalgie, nous ressentons nous aussi aujourd’hui une certaine solitude, comme un petit vertige. Alors pour tout ça, je finirai par quelques mots magnifiques de Michèle Lesbre. Ils sont extraits  d’un livre qu’elle a écrit Un lac immense et blanc. Ce livre parle avec une grande délicatesse de l’époque que nous avons vécue. Des mots que tu aurais pu prononcer toi aussi, des mots en forme de promesse que nous te faisons tous aujourd’hui :

« Et la nostalgie se mue en joie. En cette journée particulière, la solitude aura moins que jamais le goût des renoncements. »



 
 
 
A suivre, demain, les discours de Renaud, Isabelle et Franck MARTIN
 

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