vendredi 23 mars 2012

Hommage à Claude Duneton

Claude Duneton est décédé, ça s'est passé il y a deux jours, le mercredi 21 mars 2012, et j'ai entendu ça ce matin à la radio.
Pour moi, Claude Duneton, c'est la puce à l'oreille, comme pour beaucoup de gens du reste.
Dans cet ouvrage, Claude Duneton revenait sur les expressions les plus courantes de la langue française et en révélait le sens caché. Derrière chaque mot, un plaisir, une sensualité, un secret. Cela allait de l'expression poser un lapin, à "pauvre con", et bien sur à l'expression "la puce à l'oreille". En gros, une vision totalement nouvelle de notre langue, en opposition complète avec celle inculqué par les maîtres rigoureux qui avaient bercé notre enfance studieuse qui limitaient le bon français à un ensemble de règles, et le français classique en un instrument de pouvoir.
Mais voilà, Duneton était un amoureux de la langue, de notre langue. Et parce qu'il était génial, il avait vite compris que l'apprentissage du français classique était l'instrument de la reproduction du pouvoir ... alors que la langue est avant tout un outil de plaisir.
A la maison, en Corrèze, on parlait occitan. Le français a d'abord été pour lui une langue étrangère, et il l'a aimé comme telle, comme un outil magnifique qui permet de se comprendre soi-même, à l'image de toutes ces langues étrangères, porteuses des cultures et des façons d'être, de ces différences qui reflètent notre humanité. Avant d'être spécialiste de la langue française, Claude Duneton a été prof d'anglais, après avoir un obtenu à 14 ans un Cap qui lui désignait une voie toute tracée.
Ainsi Claude Duneton, s'il percevait toutes les faiblesses, tous les manques de l'École, savait aussi qu'elle était indispensable, puisqu'elle lui avait permis, à lui, comme à beaucoup d'autres de sortir d'un destin social pré-établi ... même si l'école ne permet pas d'aimer.
Claude Duneton s'est cogné à la langue comme à la vie.
Et de fait, les éléments de sa biographie sont passionnants. Il n'était pas seulement un penseur de la langue, mais il était aussi homme de théâtre, comédien, écrivain, historien après avoir été enseignant. Il nous a laissé une autre façon de voir la langue, un regard porteur de toute son humanité.

En hommage, sa dernière rubrique reprise dans le Figaro Littéraire tellement typique de sa façon de voir, d'écouter notre langue.
Vive le français !




Une question claire m'est posée par M. Andreu, de Toulouse : « Dans un article du Figaro, dit-il, en première page, un chroniqueur écrit “en vélo”. J'ai quatre-vingts ans, j'ai appris le français à la communale d'un village catalan où mes parents parlaient le catalan, mais où notre langue était interdite sous peine de sanctions.» Situation typique d'une majorité de Français nés quelque part dans l'entre-deux-guerres, avec lesquels s'acheva, non sans brutalité, la francisation de notre pays. «Alors, demande M. Andreu, doit-on dire à vélo ou en vélo? Mon redoutable instituteur tenait à ce qu'on emploie à vélo sous peine de recevoir un coup de pied au cul dont il avait le secret.»

C'est clair; cela décrit la tendance pédagogique un peu partout dans la France rurale au dernier volet de la IIIe République… Cette situation - très récente à l'échelle des mutations linguistiques - explique la fragilité du français dans la compétition internationale actuelle : la greffe n'a pas pris en profondeur. Mais revenons à nos pédales. D'abord vélo est l'apocope de vélocipède, ancêtre de la bicyclette, laquelle prit son essor dans les années 1890 avec l'invention de la chaîne et du pédalier ; ce nouveau moyen de transport connaît une explosion étonnante dans les milieux populaires - il révolutionne en particulier les distances entre les ateliers et les résidences ouvrières. La «petite reine» devient un phénomène national, et les ouvriers l'appellent plus volontiers vélo ; ils disent sans complexe qu'ils se déplacent en vélo, comme d'autres en train ou en calèche, c'est-à-dire «par le moyen du vélo». Le en n'est pas un descriptif intérieur-extérieur, il joue un rôle purement instrumental: on dira en pour tout nouveau moyen de locomotion, en tricycle si la machine a trois roues, en side-car, et aussi, par pure logique fonctionnelle, en tandem (et jamais à tandem). Cela montre bien que dans l'esprit du locuteur en n'a pas la connotation «dedans-dehors» mais seulement «par le moyen de»… On dit en traîneau, en tapis volant, s'il le faut - des véhicules dépourvus d'intérieur. Se rendre quelque part en vélo n'est donc pas une hérésie grammaticale comme le pensait le maître d'école de M. Andreu; c'est seulement une manière agréable, pratique et pas chère de se déplacer, en ville comme à la campagne.

À vélo, sur le modèle de à bicyclette est hérité de à cheval sans nécessité, par une sorte de complaisance au code dominant. C'est par un phénomène d'hypercorrection dans les classes sociales aisées - relayées craintivement par les instituteurs publics - que la forme en vélo a été bannie sans aucune nécessité proprement linguistique au profit de à vélo - et la même remarque est valable pour en moto.

Si je puis résumer mon sentiment, je conseillerai à M. Andreu de continuer à dire en vélo puisqu'il s'agit du moyen de transport, et à vélo dans les cas où il est fait spécifiquement allusion à la notion d'équilibre, comme: «Cet enfant sait déjà se tenir à vélo.» Du moins, c'est mon sentiment.

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