mardi 9 septembre 2008

Le président a peur (suite et fin)


De quoi le Président a-t-il peur, vous le saurez en écoutant la suite de son discours et, si vous êtes comme moi, vous aurez peur avec lui.
Défendre Sarkozy sur le Proche Orient
"...Lorsque le Président de la République m’a invité, avec d’autres, à l’accompagner au Liban, où l’Histoire nous a imposé des obligations particulières, j’y suis allé. Certains me l’ont reproché. Que m’aurait-on dit si j’avais été le seul responsable politique à ne pas être invité ou, ayant été invité, le seul à refuser ? Vous voyez dans ce simple exemple que certaines questions sont posées bien sûr au-delà des clivages partisans. Les Libanais n’espèrent ni dans la droite ni dans la gauche. Ils espèrent, ils attendent la France et l’Europe, et ils en ont le droit.
Sans donner un quelconque assentiment aux initiatives diplomatiques parfois un peu désordonnées de Nicolas Sarkozy (ayons en mémoire les tensions avec l’Allemagne ou les rebuffades de M. Kadhafi), je crois qu’il faut observer que l’intérêt porté au Liban, l’encouragement à remettre la Syrie dans le jeu international, le projet esquissé d’Union pour la Méditerranée, ont fait légèrement bouger les lignes de relations internationales figées, au Moyen Orient, sur le postulat de la haine inexpiable.

Je n’ai pas d’illusions. A Tel-Aviv, à Ramallah, à Damas, à Téhéran, on attend plutôt le résultat de l’élection américaine que le bilan de la présidence française de l’Union Européenne. C’est une réalité. Faut-il l’accepter sans jamais tenter de rien y changer ? Non. Chaque geste portant la moindre espérance de paix doit être salué, accompagné et porté par la volonté politique qui ne doit jamais se résigner au pire, car le meilleur de la politique, c’est précisément de tenter de graver le rêve dans la réalité.
le risque de la guerre
Je vous parle de ce sujet avec une certaine solennité car je vois, en espérant me tromper, que sont réunis, ici et là, les risques d’une conflagration comme nous n’en avons pas imaginé depuis l’effondrement du communisme et la disparition au moins partielle des risques permanents pour l’humanité installés par des relations internationales dominées par les concepts de « guerre froide » ou d’équilibre de la terreur. Puis-je vous le dire ? J’ai peur. Peur, je l’ai souligné, pour le Moyen-Orient. Ce que certains humoristes appellent « le chemin de Damas » de Sarkozy est une tentative, peut-être inutile mais certainement pas futile, de desserrer l’alliance entre la Syrie et l’Iran, d’empêcher l’aide matérielle et financière de ces deux pays de parvenir aux terroristes aussi bien au Liban qu’en Palestine, de faire baisser les tensions insoutenables que l’appui américain aux extrémistes du Grand Israël ou à des dirigeants irakiens sans légitimité ont fait monter dans toute la région, d’aider aussi nos amis américains à sortir du piège de Bagdad qu’ils ont eux-mêmes fabriqué, de réintégrer l’Iran dans le jeu diplomatique normal, bref d’éviter la guerre. Car il faut le dire : le risque de la guerre se laisse voir comme se laisserait entendre le feulement d’un fauve encore caché. Le refus de Téhéran d’accepter les règles –certes posées par d’autres– de la non-prolifération nucléaire est une lourde hypothèque sur la paix du monde. Essayons donc, tous ensemble, Français, Européens, et demain souhaitons-le Américains, de désamorcer cette première bombe à faible retardement.
La poudrière Causasienne
Une autre redoutable minuterie fatidique vient de s’enclencher au Caucase avec la reconnaissance par Moscou des indépendances préfabriquées en Ossétie du Sud et en Abkhazie mais surtout parl’occupation militaire russe d’une partie de la Georgie. Disons-le nettement ici, l’atteinte à la souveraineté géorgienne est intolérable. Mais quand nous l’aurons dit, que répondrons-nous aux cyniques qui viendront nous expliquer que le pétrole de la Mer Caspienne ne peut transiter vers nous qui l’achetons que par l’Iran ou par les nouvelles républiques caucasiennes tellement convulsives (rappelez-vous la Tchétchénie dont personne ne parle plus) qu’il faut bien la main de fer de Moscou pour y mettre un peu de sécurité ?

mille nationalismes explosifs
Que pouvons-nous objecter aux juristes qui nous rappellerons que, pour bombarder le Kosovo et Belgrade, l’OTAN n’avait, pas plus que l’empire russe, de mandat de l’ONU. Que pouvons-nous répondre aux réalistes qui viendront nous remémorer notre consentement enthousiaste aux décrets peu réfléchis de Boris Eltsine quand il signait l’arrêt de mort de l’URSS sans trop d’égards pour les conséquences de ce geste à la périphérie d’une organisation artificielle et moribonde mais seul contenant significatif de mille nationalismes explosifs. Que pouvons-nous inventer pour expliquer aux Russes de Moldavie, de Crimée, du Kazakhstan que l’équilibre géopolitique décrété à Washington vaut mieux que le sentiment collectif de leur identité ?
La véritable inquiétude
Je pourrais multiplier à l’infini les questions que pose la contradiction fondamentale entre notre universalisme théorique et nos encouragements à l’émergence étatique de toutes les nationalités. Nousn’avons pas assez réfléchi quant il était temps. Pour cette fois, je crains bien que nous soyons contraints d’accepter la loi du plus fort et que, pour de multiples raisons, les démocraties occidentales viennent àjouer l’indignation comme un rôle de composition, ce qui montrera au moins et très accessoirement que les meilleurs sentiments ne constituent pas, à eux seuls, une volonté politique. Ne me jugez pas trop froid lorsque je pose le scénario le plus probable. Pas plus que vous je ne me résigne à l’inacceptable et nous continuerons à nous opposer à cet affrontement d’un loup et d’un agneau. Ma véritable inquiétude est ailleurs, et je devine que c’est aussi la vôtre. Elle est quelque part à la frontière imprécise de l’Afghanistan et du Pakistan. Partout, même, à Tbilissi, même à Téhéran, nous avons l’impression que la raison, fût-elle injuste, peut l’emporter, que le pire peut être évité. Et surtout, nous y sommes tellement faibles en influence que notre indignation ne serait que maquillage compassionnel. Depuis le terrible traquenard tendu aux troupes françaises le 18 août en Afghanistan, nous sommes obligés de réfléchir différemment. Et depuis le vote du Congrès le 21 juillet, nous avons à répondre par la voix de nos parlementaires à une interrogation particulièrement lourde : les démocraties sont-elles prêtes à payer, par les risques de la guerre, le prix de la paix ? Je pourrais vous rappeler interminablement les données du problème.

Après l’attentat du 11 septembre 2001, les Américains, longtemps au soutien des talibans, n’ont pas cherché à rétablir les droits de l’Homme à Kaboul ; ils ont seulement voulu extirper Ben Laden de son sanctuaire.Le régime mis en place par les Occidentaux même s’il a été ratifié par une élection sans surprise, n’a pas de légitimité et nul n’en aura plus dans un pays où les logiques de différenciation ethnique et d’affrontement tribal l’ont toujours emporté sur le concept d’Etat parfaitement abstrait. De fait, six ans après notre intervention en Afghanistan ni les droits des femmes, ni le développement des territoires, et moins encore la lutte contre la corruption ou le trafic de drogue n’ont progressé d’un pouce. Cette situation, vous la connaissez et, tout analysé, nous pourrions, à la fin, baisser les bras et laisser un peu de temps au peuple afghan pour passer du Moyen-Age au XXIème siècle.

Que faire en Afghanistan ?
Nous pourrions aussi céder à la tentation de la démagogie. Nous avons eu à déplorer la mort de dix soldats français. Nous savons les réticences extrêmes de l’opinion publique au maintien et plus encore au renforcement de notre dispositif militaire en Afghanistan. Nous pourrions en somme donner raison à ceux qui spéculent sur notre supériorité morale parce qu’ils savent que nous accordons à la vie humaine un prix qu’ils jugent sans rapport avec les préjugés de leur fanatisme. Nous pourrions faire le choix de la lâcheté et dire dans un esprit munichois à nos amis américains : Débrouillez-vous, cela n’est plus notre affaire. Sans doute serions-nous applaudis comme le fut Edouard Daladier. Et nous pourrions encore, si nous n’avions l’esprit braqué sur l’essentiel, dire à ceux qui polémiquaient contre nous après le Congrès du 21 juillet : Quand on est dans l’opposition, on s’oppose. Si Sarkozy veut maintenir nos troupes, la gauche doit refuser. Si l’envoi de soldats français a été décidé par Jacques Chirac et Lionel Jospin, que l’UMP et le PS assument leurs responsabilités. Nous pourrions tout simplement dire non par facilité. Ce serait une victoire médiatique facile et une redoutable défaite pour notre conception de la politique.

l'arme nucléaire
J’ai rappelé les grandes lignes du sombre tableau qui se dessine en Afghanistan. Je veux y ajouter deux traits plus sombres encore et qui sont des armes braquées contre l’équilibre du monde. D’une part, le Pakistan s’est doté de l’arme nucléaire. D’autre part ce pays n’aura plus demain ni les moyens ni la volonté de s’opposer à la contamination de son territoire par le terrorisme et par le fanatisme. Il nous faudra dire, dans les prochains jours, si nous avons ou non la volonté de nous opposer à cette montée des plus grands dangers. Nous avons à rendre compte, sous le jugement des générations futures, de notre courage ou de notre démission. Nous avons à dire si nous sommes prêts-à-porter le poids du vieil adage latin : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Nous avons tout simplement à faire face, plus vite qu’il n’était prévu, à nos nouvelles responsabilités constitutionnelles. A la gravité de mon propos, vous avez deviné ma position. Il appartiendra à nos parlementaires de se prononcer en conscience une nouvelle fois. Je vais bien sûr parler beaucoup avec eux mais j’ai envied e vous demander ici un mandat très inhabituel dans une Université d’été : donnez-moi par votre détermination collective les moyens de les convaincre. La faiblesse serait un misérable refuge. Si nous n’avons pas la force de nos arguments, nous subirons les arguments de la force. … Je n’aurais pas eu de plaisir politique si j’avais aujourd’hui sacrifié la politique au plaisir.
Le combat des idées
Mais à la fin, nous sommes entre nous. J’ai suivi vos travaux pendant ces deux belles journées. Et je me demandais hier après-midi en vous écoutant : où, si ce n’est ici, peut-on trouver une telle qualité dans la réflexion ? Où entendre, si ce n’est chez les radicaux, des esprits aussi sûrs et aussi scrupuleux livrer à la délibération la plus libre des questions aussi élevées ? Où savoir, si l’on n’est pas déjà membre de notre parti, qu’il existe un lieu politique improbable où se conjuguent la plus grande tradition et la plus forte imagination ? En me posant ces questions, je faisais amende honorable. Si les Français sont encore peu nombreux à investir leurs espérances de justice, de solidarité et de fraternité dans notre parti, nous en sommes tous responsables. Mais si vous me faites la confiance de me reconduire à votre présidence, j’en suis comptable plus que tout autre. Cette confiance m’oblige. Je ne me déroberai pas. Je prends ici l’engagement de vous la restituer après l’avoir multipliée. Je n’ai qu’un titre à parler après vous, c’est le droit que vous m’en avez donné. Et je vous dis, sans aucun artifice rhétorique, que le temps politique nous commande de nous lever, de dresser, s’il le faut, notre liberté rebelle contre tous les renoncements qui nous sont suggérés ou dictés.
Nous allons reprendre –mais nul ne l’avait abandonné– le combat des idées. Et nous allons le gagner.

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