mardi 30 septembre 2008

Faut-il sauver les banquiers ?




Le prochain café radical, qui se tiendra soit le 10, soit le 17 octobre traitera de la crise financière et de ses conséquences prévisibles sur l'économie mondiale et sur notre quotidien. Nous vous en dirons un peu plus dès que possible !

En attendant, le café radical vous fournira quelques éléments de réflexion, amuse-gueules de pour alimenter le débat.


Le café radical vous joint un texte de Thomas Piketty, piqué dans la page Rebonds de Libération


Thomas Picketty Thomas Piketty est directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris. C'est un jeune économiste reconnu qui a fait parti du think tank de Dominique Strauss-Khan avant de participer à la campagne de Ségolène Royal.




La crise financière va-t-elle conduire à un retour en force de l’État sur la scène économique et sociale ? Il est trop tôt pour le dire. Au moins est-il utile de dissiper quelques malentendus et de préciser les termes du débat. Les sauvetages de banques et les réformes du système de régulation financière orchestrés par le gouvernement américain ne constituent en soi pas un tournant historique. La rapidité et le pragmatisme avec lesquels le Trésor américain et la Federal Reserve adaptent chaque jour leur doctrine et se lancent dans des nationalisations temporaires de pans entiers du système financier sont certes impressionnants. Et même s’il faudra du temps pour connaître le coût final net pour le contribuable, il est possible que l’ampleur des interventions en cours dépasse les niveaux atteints dans le passé. On parle maintenant de montants compris entre 700 et 1 400 milliards de dollars, soit entre 5 et 10 points de PIB américain, alors que la débâcle des Savings and Loans des années 80 avait coûté environ 2,5 points de PIB.
Il reste que ce type d’interventions dans le secteur financier se situe dans une certaine mesure dans la continuité des doctrines et des politiques déjà pratiquées dans le passé. Les élites américaines en sont convaincues depuis les années 30 : si la crise de 1929 a pris une telle ampleur et mené le capitalisme au bord du gouffre, c’est parce que la Federal Reserve et les autorités publiques ont laissé les banques s’effondrer en refusant d’injecter les liquidités nécessaires pour rétablir la confiance et la croissance régulière de l’économie réelle. Pour certains libéraux américains, la foi dans l’interventionnisme de la Federal Reserve va même de pair avec le scepticisme vis-à-vis de l’interventionnisme étatique en dehors de la sphère financière : pour sauver le capitalisme, nous avons besoin d’une bonne FED, souple et réactive - et surtout pas du welfare state ramollissant que les rooseveltiens ont voulu imposer à l’Amérique. En oubliant ce contexte historique, on risque de s’étonner de la rapidité d’intervention des autorités financières américaines.
Les choses vont-elles s’arrêter là ? Cela dépend de la présidentielle américaine : un président Obama pourrait saisir cette occasion pour renforcer le rôle de l’Etat dans d’autres domaines que la seule sphère financière, par exemple sur l’assurance-maladie et la réduction des inégalités. Compte tenu du gouffre budgétaire légué par l’administration Bush (dépenses militaires, sauvetages financiers), les marges de manœuvre sur la santé risquent toutefois d’être limités - le consentement des Américains à payer plus d’impôts n’est pas infini. Le débat en cours au Congrès sur la limitation des rémunérations dans la finance illustre d’ailleurs les ambiguïtés du contexte idéologique actuel. On sent certes monter l’exaspération de l’opinion américaine face à l’explosion des super-salaires des dirigeants et des traders observée au cours des trente dernières années. Mais la solution envisagée, qui consiste à instituer une rémunération maximale de 400 000 dollars (le salaire de président des Etats-Unis) dans les institutions financières renflouées par le contribuable, est une réponse partielle, et surtout aisément contournable - il suffit de transférer le paiement de salaires plus élevés dans d’autres sociétés.
Après la crise de 1929, en réaction aux élites économiques et financières qui s’étaient enrichies tout en conduisant le pays à la crise, la réponse de Roosevelt fut autrement plus brutale. Le taux de l’impôt fédéral sur le revenu applicable aux revenus les plus élevés fut porté de 25 % à 63 % en 1932, puis 79 % en 1936, 91 % en 1941, niveau réduit à 77 % en 1964, et finalement à 30 %-35 % au cours des années 1980-1990 par les administrations Reagan-Bush (Obama propose de le remonter à 45%). Pendant près de cinquante ans, des années 1930 jusqu’en 1980, jamais le taux supérieur ne descendit au-dessous de 70%, et il fut en moyenne de plus de 80%. Dans le contexte idéologique actuel, où le droit de toucher des bonus et parachutes dorés de plusieurs dizaines millions d’euros sans avoir à payer plus de 50% d’impôt a été promu au rang des droits de l’homme, beaucoup jugeront cette politique primaire et spoliatrice. Elle a pourtant été appliquée pendant un demi-siècle dans la plus grande démocratie du monde - visiblement sans empêcher l’économie américaine de fonctionner. Surtout, elle avait le mérite de réduire drastiquement les incitations des dirigeants des entreprises à se servir dans la caisse au-delà d’un certain seuil. Avec la globalisation financière, de tels mécanismes ne pourraient sans doute être mis en œuvre sans une refonte complète des règles de transparence comptable et une action implacable contre les paradis fiscaux. Malheureusement, il faudra sans doute bien d’autres crises pour en arriver là.

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